Long John Silver, et le capitaine Flint avant lui, ont fait couler beaucoup de sang mais aussi beaucoup d’encre !
Robert Louis Stevenson était le premier à relater leurs aventures dans son roman «L’île au Trésor ». Disney en a même fait une version inspirée du Steampunk. Il s’agissait de « La Planète au Trésor ». Peut-être es-tu plus de cette génération là. Toujours est-il que notre bon vieux Jack Sparrow n’était pas encore né !
Loin des romans et des fictions que j’ai cités plus haut, je te raconte avec une certaine nostalgie, quelques anecdotes que j’ai partagées avec ces deux vieux loups de mer qu’étaient Silver et Flint…
Aux côtés du capitaine Flint
La piraterie serait-elle une affaire d’homme ? Tu imagines bien qu’au cours de mes voyages, aussi oniriques qu’uchroniques, je me suis risquée à ce type d’aventure. Et pas aux côtés de n’importe qui ! J’ai navigué avec mon cher ami Long John Silver, dont la loyauté était aussi imprévisible que le vent dans les voiles du Walrus, et surtout, sous le commandement du célèbre capitaine Flint.
Je suis parvenue à entrer dans l’équipage de Flint quelques années avant Silver. Et crois-moi, il n’était pas question de cacher qui j’étais. La piraterie est faite pour les gentilshommes de fortune qui rêvent de liberté, et j’étais moi-même aussi libre que le vent. On me fit confiance assez rapidement car la marine n’avait aucun secret pour moi ! Je vais te raconter :
Nous naviguions depuis seulement quelques jours et nous croisâmes un premier bateau marchand au large de l’Espagne. Dès ce premier assaut, je convainquis tout l’équipage. Car jusque-là, quand bien même Flint m’ait fait confiance, il n’en était rien pour toute cette bande de scélérats. Mes lames rougirent sous le visage de mes ennemis alors figé pour l’éternité, toutes mes balles atteignirent leur cible. Quelle ne fut pas la surprise des espagnols en me voyant arriver sur le pont de leur bâtiment. Flint devait s’en douter lorsqu’il m’a recrutée car, jusqu’à ce que la rumeur de ma présence s’étende sur les flots, à chaque nouvelle attaque la stupéfaction en faisait trépasser plus d’un.
Plus tard, aux largs des côtes africaines, nous pillâmes un chargement de cristaux tout frais sortis des entrailles de la Terre et du sang des locaux qui avaient été sacrifiés pour les extraire. Pour ma part je sortis de ce sabordage avec quelques égratignures et une oreille presque arrachée. Mais la récompense était incroyable. Le butin brillait de mille feux, comme dans les songes les plus fous de tous les rêveurs qu’il y avait à bord du Walrus. La démence autant que l’euphorie enivra mes compagnons et moi-même. Chacun se laissait bercer par ses lubies et ses fantasmes.
A chacun son pesant d’or et de pierreries pour réaliser ses envies. J’utilisais alors le mien pour confectionner une paire de boucles d’oreille. Quelques morceaux de laiton me suffirent pour y accrocher des perles nacrées en cristal d’un gris moiré. D’un brin de subtilité je soulignais chaque perle d’un petit éclat de verre bleu. Enfin (piraterie oblige) je n’ai pas pu m’empêcher d’ajouter une petite tête de mort sur chaque boucle. Pour autant, le trésor obtenu de ce dernier voyage était si fou, qu’en plus des litres de rhum dans lesquels j’ai pu dilapider cette fortune éphémère, je me suis offert mon fidèle mousquet trois coups ! Une invention récente dans l’armurerie à l’époque mais qui m’accompagne encore aujourd’hui pour me défendre d’éventuelles vielles connaissances…
La fiancée de Long John Silver
Et en parlant de vieilles connaissances, toutes ne sont pas synonymes de danger. L’un de mes meilleurs compagnons fut Long John Silver. Nous avons scellé des liens fraternels très fort, ce qui peut paraitre étonnant car beaucoup le connaissent à travers le spectre d’une vie démoniaque et manipulatrice. Ainsi, peu semblent savoir qu’il s’est un jour égaré dans les flots de l’amour. Il n’était alors qu’un jeune homme, rêveur, ignorant que la piraterie ne faisait pas bon ménage avec les femmes.
Pourtant c’est arrivé : il l’a rencontrée, il l’a séduite, il lui a promis de revenir…
Après de longs mois à sillonner les mers, défiant la colère du trident, louvoyant d’îles en îles aux quatre coins du monde à la recherche d’innombrables richesses, il revint. Avec lui, il apporta un collier unique aux perles violettes. Une sirène était en son centre, symbole de ses voyages. Elle représentait illusoirement sa vie de marin, et non celle du candidat talentueux pour la potence qu’il était.
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Ravie et naïve, la femme l’accepta. Mais ce bien ne suffit pas à compenser les absences de l’aventurier, croyant lui-même que la gente féminine s’achetait d’or et de perles. Ainsi, il accostât un jour sans être attendu. Sa promise s’était lassée et ne fut point présente à l’auberge, ni ce jour, ni les suivants. Brisé comme un navire faisant naufrage, Silver devint la légende luciférienne qu’on lui connait aujourd’hui, laissant définitivement le passé dans son sillage.
Suite à cette histoire, je me suis toujours demandée s’il ne m’en avait pas voulu de l’avoir présenté au capitaine Flint…
Tous les chemins mènent au rhum
C’est suite à ce crève-cœur que l’âme de Long John Silver sombra. Croyant que les richesses accumulées de voyages en pillages suffiraient à conquérir sa Belle. Le pirate se heurta à la réalité de la vie qu’il avait choisie.
Bien que les occasions ne manquaient pas pour laper du rhum, ce soir-là lui donna raison de boire plus que jamais. Mais dans son ivresse, il ne dévoila jamais la raison pour laquelle la bouteille était devenue sa nouvelle compagne, bien plus fidèle que celle qui fut autrefois de chair et de sang. La nuit avançait, les carafons se succédaient. J’avais beaucoup de mal à le suivre car bien qu’ayant une descente respectable, je n’avais pas les mêmes motivations que lui pour « déguster » (si nous en étions encore capables) tous ces breuvages.
Peu avant les premières lueurs de l’aube, nous tentâmes de quitter l’auberge, bras dessus, bras dessous, en poussant la chansonnette. Retenus fermement par l’hôte pour avoir omit de payer la totalité de nos écarts, Sliver, entre grommellement et bégaiement, lança violemment deux objets sur le comptoir avant de ricocher lui-même dans l’entrebâillement de la porte et de trébucher vers l’extérieur. Il manqua de m’emporter dans sa chute.
C’est deux bijoux, identiques, finirent leur course face à l’aubergiste bouche bée, dans un cliquetis à peine perceptible. Il prit entre ses mains cette paire de boucles d’oreille, incroyablement semblable à un collier qu’il avait vu sur le cou de sa nièce quelques années auparavant. Mais effectivement, avec un tel pourboire, notre débauche fut aisément épongée.
Les Sirènes de Silver
C’est quand même bien triste que les belles années de romance de Silver furent ainsi noyées dans la bouteille en une seule soirée. Durant les quelques années où il naviguait pour couvrir sa dulcinée d’apparats, je lui servais d’alibi pour poser certaines conditions lors de la répartition des butins honorablement pillés. Ainsi, l’équipage savait que tout trésors ou joyaux décorés d’une sirène me revenait. Puis, en catimini, lui et moi échangions nos dus. De fait, il constitua une collection d’objets et de bijoux ornés de cette mythique créature des mers, tous plus incroyables les uns les autres.
Lorsque nous mettions pied à terre, il me faisait passer pour sa sœur. Nous nous rendions à l’auberge pour qu’il offre ses présents à sa dulcinée. Je me faisais discrète, retrouvant parfois quelques amis d’enfance autour de la seule table ronde de l’établissement. Cette fois, Silver lui apporta un bracelet de dentelle argentée étincelant au cœur duquel se trouvait une pièce noire et mat. Sur cette pièce on distinguait (tu t’en doutes certainement) une sirène élancée et majestueuse.
J’esquissais un sourire en voyant l’enchantement qui submergea la jeune femme à la vue de ce nouveau cadeau. Ce bijou était bien à l’image du jeune homme qui le lui offrait : étincelant aujourd’hui et d’une noirceur sans égale sur mer. J’ai d’ailleurs toujours eu du mal à comprendre comment ce pirate, qui faisait rougir sa lame aussi bien que moi, dont la précision des balles était redoutable et qui s’était même débarrassé de certains compagnons (prétextant quelques tempêtes ou orages), pouvait s’attendrir de la sorte. Et ce, d’autant plus qu’à ma connaissance, j’étais la seule à connaitre cette facette. Autrement, qu’en auraient pensé les gentilshommes de fortune du Walrus ?